Livre d’Or
Texte de Béatrice Pasquer, suite à un Stage d’écriture que j’ai agrémenté de ma cuisine
Bons pots, bons mots
Dès potron-minet, elle file dans sa cuisine, les yeux encore lourds de sommeil. La nuit, on dirait qu’elle révise ses recettes. Sucré, salé, croquant, fondant, elle se demande quel plat elle va nous mijoter. Ou bien est-ce par nos mots que ses rêves sont agités ? Mots qui s’échappent entre nos bruits de fourchettes, lorsque repus d’écrire nous venons nous rassasier de tendres bouchées pour faire couler ces mots rêches qui ont du mal à sortir.
Les mots, ça creuse, ça bouillonne, ça rissole et parfois ça crame à l’intérieur.
Quand elle nous voit débouler au beau milieu de la matinée près de ses casseroles, les yeux bouffis, cherchant un mouchoir pour éponger les mots de trop, elle relève la tête sans piper mot. Elle tend l’oreille à ce qu’on vient lui livrer de nos histoires qui s’écrivent de l’autre côté de sa fenêtre. Elle saisit bien qu’on les épluche parfois à l’envers. Ou qu’il leur manque un peu de liant. Elle met de l’eau à chauffer, nous sert un bol de thé pour nous ravigoter. Puis elle retourne à ses cocottes, émince, effile, blanchit. Carottes, blettes, poireaux, courgettes, navets, pas de temps à perdre, faire cuire tout ça à l’étouffée.
Elle sait bien qu’elle va nous voir rappliquer les uns après les autres, chacun son heure pour évacuer son flot de mots. Ou serait-ce par intérêt, comme attirés par le frigo ? Non, pas pour chaparder ou grignoter ! Aucune fringale possible avec ce qu’elle nous sert notre cuisinière. Juste pour y trouver une place au frais. Une place où déposer nos textes. Ah oui, ça c’est une autre recette. Celle de notre chef sans tablier, qui nous dit que nos écrits, il faut savoir les laisser reposer.
Décidément, bons mots, bons plats sont bien liés. Voyelles, consonnes, moelleux, croustillant. Du cru, du cuit, présent, passé. Toujours une histoire de temps. Mais avec elle, Anaëlle, c’est toujours du plus que parfait !
Elle nous glisse même qu’elle aimerait bien s’y essayer aux mots. Sentir leur goût d’un peu plus près. Elle qui ne voit passer que nos épluchures.
Et si on l’invitait à notre table ? Elle pourrait nous aider à rectifier les nôtres. Elle qui sait si bien assaisonner. Les plus fades, elle saurait les pimenter. Les plus amers, les saupoudrer d’un suave nappage pour leur faire perdre leur mordant. À moins qu’elle ne veuille leur faire la peau !
On en prendrait tous de la graine. Mais la cuisinière ne livre pas ses tours de mains. Même déliées sur le papier, ses recettes gardent bien leurs secrets
Texte d’Etienne Ragot, suite à un stage d’écriture que j’ai agrémenté de ma cuisine
La Végane éphémére
Un ventre rond qui abrite l’humain de demain
Un sourire qui embaume toute la salle à manger
Des bonjours qui ouvrent l’appétit
Elle est belle comme une maman, Anaëlle.
Quand l’inspiration se débine
Je viens dans la cuisine
Je m’installe comme quand je faisais mes devoirs
Sur la table de formica et que ma maman chantait
Rassuré, apaisé
Notes de musique dans les narines
Saveurs naissantes dans les oreilles
Je lève la tête pour la voir s’affairer
Flottant dans l’atmosphère culinaire
Faufilé entre les couleurs légumières
Ouvert aux mots qui reviennent
Quand l’heure du soir ou du midi sonne
Que l’estomac claque et résonne
Je viens dans la salle à dîner
Me rincer l’œil en même temps que le gosier
Il y a à voir et à manger
Le bonheur est dans l’assiette
Tartes, salades, gratins, poudres de perlin pinpin
Je m’étonne et je gloutonne
J’applaudis ces merveilles dans les plats
Je souris à celle qui fait tout ça
Au fil des jours
Recettes dans leurs plus beaux atours
Plaisir de sentir sous la langue et les papilles
L’extraordinaire sortant du four
L’incroyable mijoté de fabuleuses protéines végétales
Au Fil de Soi
La semaine s’achève
J’ai le ventre rond de toutes ces ripailles
Anaëlle s’en va avec tous ses secrets
Je la regarde ému par tout ce qu’elle porte…
Texte de Marion Ploix, suite à un stage d’écriture que j’ai agrémenté de ma cuisine
Courgettes Sucrées
Ce midi j’ai ouvert le bac à légumes du frigidaire avec le souvenir sucré des rondelles de courgettes qu’Anaëlle avait amoureusement mêlées de deux ou trois autres légumes lors de l’un de nos dîner au Fil de soi. Je me souviens de ma surprise en redécouvrant ce cucurbitacée, élément récurent de ma cuisine au quotidien et en le savourant dans une couleur de première fois. Il était, me semble-t-il accompagné de pommes de terre.
J’ai coupé un oignon finement et je l’ai mis à revenir dans l’huile d’olive. J’y ai rajouté du sel et quelques généreuses lampées de sirop d’agave, il remplace agréablement le sucre dans la maison depuis quelques années. J’ai mis dans la poêle les rondelles de courgettes et j’ai fait revenir le tout à feu moyen. Je les ai retirées de la flamme, encore croquantes et les ai mises de côté. Dans une autre poêle, plus ronde, j’ai fait revenir dans un filet d’huile d’olive les poivrons coupés en dés accompagnés de rondelles de carotte et de pomme de terre. Là j’ai bien salé et j’ai relevé d’une belle pincée de curry. C’est à ce moment qu’Adrien est rentré de son activité matinale et en passant la porte de la cuisine, me voyant trancher et découper mes légumes consciencieusement nettoyés :
— Je voulais faire les magrets…
— Vas-y mon Adrien, fais-toi plaisir, ils accompagneront parfaitement le riz et les légumes.
Prune, 12 ans, attirée par les odeurs et l’agitation dansante habitant la cuisine me propose son aide, ne sait pas trop comment la mettre en pratique, nous observe encore un peu et finit par s’avouer vaincue,
— Bon, je vous laisse tous les deux à votre cuisine…
Les magrets grésillent en rendant leur jus, la poêlée de légumes prend la consistance d’une cuisson juste à point, j’y incorpore les courgettes qui attendaient sagement et remue le tout. Les légumes colorés m’enchantent déjà de leur saveur odorante.
— À table les enfants !
Nous voilà réunis tous les quatre autour des fines tranches de magret rosées, d’un riz blanc basmati et d’une fricassée de légumes parfumés. Adrien y a rajouté une sauce au vin à base d’oignons, de miel et de poivre vert. Le repas est devenu festin et les enfants y font honneur. Les discussions s’enroulent et se déroulent dans le plaisir des papilles, entremêlées de murmures d’approbation. Au moment de reprendre une cuillère de légumes, par pure gourmandise, je m‘entends leur énoncer tranquillement :
— À partir d’aujourd’hui on ne mangera de la viande qu’une fois par jour. Le soir, on fera sans. Prune et Quentin se sont immobilisés la fourchette en l’air, Prune réagit la première :
— Quoi ?! mais non, mais on va faire comment ?…
— Mais très bien ma chérie, on mangera tout aussi bien mais plus légèrement, et puis tu verras, on
dormira surement beaucoup mieux.
— Mais oui mais c’est pas juste, dans la semaine je mange à la cantine moi !
— Et à la cantine tu ne manges pas de viande ?
— Ben si mais elle est dégueulasse !
— Ne t’inquiète pas ma douce je vais être créative, ça ne te manquera pas.
Prune et Quentin se tournent vers leur père et Quentin l’interpelle :
— Papa, dis quelque chose !
Adrien rigole,
— Mais je trouve ça très bien moi, ça me va tout à fait, je suis preneur.
— C’est bizarre ce que ça te fait l’atelier d’écriture maman, quand même… me dit Quentin mi-figue, mi-raisin.
Et nous voilà partis à discuter des méfaits environnementaux du trop manger, du mal manger, et que finalement, on pourrait bien s’y mettre, nous aussi à faire un effort. Quentin repique sa fourchette dans les dernières tranches de magret,
— C’est pour ce soir hein, je fais des réserves…